Tu seras employable mon fils !
Souvenez-vous. C'était avant que le CPE ne devienne un contrat destiné aux jeunes sans qualification, avant qu'Azouz Begag ne fustige ceux qui "volent la colère des banlieues" et ne sont pas "les vrais précarisés"... C'étaient en ces temps anciens où la précarité était généralisée et condamnait la jeunesse toute entière à "8 à 11 ans avant d'avoir un CDI". En ces temps obscurs, personne n'était épargné et pas même le fils de Gilles de Robien qui, "avec un bac +5, était resté 9 mois au chômage"... Au delà de l'évolution de la communication gouvernementale et du souvenir opportun que la loi sur l'égalité des chances était initialement une réponse aux événements de novembre pour mieux discréditer le mouvement social, j'avais été interloqué par la déclaration d'un ministre de l'éducation qui accepte comme normal le fait de sortir au plus haut niveau du système éducatif sans être considéré comme employable... Plutôt que de s'y résigner comme un fait acquis, il nous faut donc réfléchir à rendre au diplôme la valeur qui doit être la sienne : la reconnaissance d'un niveau de qualification rendant apte à occuper un emploi.
De l'avis de nombreux recruteurs, auxquels il m'arrive occasionnellement d'appartenir, les jeunes diplômés sont trop "éloignés des réalités de l'entreprise" pour être directement opérationnels. Répondant à cette lacune, le stage est considéré par nombre d'entreprises comme la voie normale vers l'insertion professionnelle. Si ce recours au stage n'est pas dénué de sens, il donne cependant lieu à de nombreux abus, faisant de la France le seul pays développé où il est possible de faire assumer de vrais emplois à une main d'oeuvre qualifiée sans rémunération, mais contre une "indemnité" correspondant à 60% du seuil de pauvreté. Pour cette raison, il me semble nécessaire d'interdire les "stages non-obligatoires" et de les compenser, comme l'ont fait les "grandes" écoles, par une obligation minimale de deux stages au cours de la scolarité. Ils doivent dans ce cadre donner lieu à un contrat précisant les objectifs pédagogiques de l'université et les objectifs professionnels de l'entreprise, dont la réalisation par le stagiaire doit être sanctionnée par une note attribuée conjointement par ces deux structures. Ainsi, le diplôme remis en fin de scolarité ne validerait plus les seuls acquis théoriques, mais également des aptitudes d'insertion professionnelles.
Cette réforme des stages doit à mon sens s'inscrire dans une démarche plus large d'échanges et de dialogues entre le monde éducatif et le monde du travail. Les enjeux en sont multiples. Dès le lycée, il faudrait dispenser une information professionnelle (par des rencontres, visites et entretiens individuels) pour mieux orienter des jeunes qui, souvent, choisissent de ne pas choisir en poursuivant les études les plus généralistes (en sciences humaines notamment) et se retrouvent dans des filières n'offrant pas suffisamment de débouchés pour leur contingent de diplômés. Dans l'enseignement supérieur, une contractualisation annuelle entre les partenaires sociaux (université, syndicats étudiants, patronat, syndicats de salariés) doit pouvoir permettre d'évaluer la situation des jeunes diplômés pour formaliser les évolutions nécessaires de part et d'autre, dans le contenu des formations et dans la valorisation des diplômes. Enfin, il faudrait diversifier le recrutement du corps enseignant : il est frappant de constater que les jeunes diplômés n'ont eu le plus souvent comme référents que des professeurs n'ayant d'autre expérience que celle de l'école. Il ne s'agit pas là de faire une diatribe anti-fonctionnaire bien française, mais de faire valoir la complémentarité entre l'enseignement de savoirs et techniques (un vrai métier dont on ne saurait déposséder les enseignants agrégés) et les études de cas concrets ou mises en situation, qui relèvent d'un partage d'expérience entre professionnels et futurs professionnels.
Il serait toutefois bien naïf de voir dans la "professionnalisation" des filières de formation un remède absolu au chômage. Car de telles filières (BTS, IUT, Alternance...) existent, et sont cependant soumises à un taux de chômage au cours des 10 premières années supérieur (21,6%) à celui des personnes issues de formations universitaires (13,7%). En cause, la grande rigidité des compétences dispensées, correpondant aux besoins techniques des entreprises à un moment donné. Or on le sait, la capacité d'un travailleur à "rebondir" pour évoluer et s'adapter à de nouvelles fonctions est en grande partie lié à des connaissances théoriques larges et à des compétences comportementales. La situation est encore plus grave pour les quelques 95 000 jeunes par an qui, derrière l'hypocrisie de l'absence de sélection à l'université, en sortent sans autre qualification que le Deug. Il me semble donc urgent de créer un véritable "droit à la seconde chance", en donnant des droits d'accès à la formation d'autant plus importants que le jeune a quitté tôt le système scolaire. A cette fin, je soutiens la proposition de DSK établissant le droit à 20 ans de formation gratuite pour tous au cours de la vie (la moyenne est actuellement à 19 ans mais masque une forte amplitude entre formations professionnelles et unversitaires). L'accès à ce droit nouveau devra cependant être conditionné à un accompagnement personnalisé, reposant sur un bilan de compétences obligatoire pour tout jeune de moins de 26 ans inscrit à l'ANPE, et dont le double objectif sera de valider les acquis professionnels et de définir les objectifs d'évolution et parcours de formation adéquats, sans à priori (université, écoles, alternance, échanges internationaux...)
Reste que de nombreux jeunes diplômés incapables de s'insérer professionnellement en France trouvent plus facilement du travail dans d'autres pays d'Europe (Royaume-Uni, Allemagne, Irlande, Scandinavie, Italie...), preuve que le problème ne vient pas uniquement de ces jeunes. A la lumière des offres d'emploi publiées par les entreprises, l'on constate aujourd'hui une grande frilosité consistant à rechercher en priorité des candidats ayant déjà occupé des fonctions similaires, si possible sur le même secteur d'activité. Dans ce cadre, la mobilité externe ne constitue plus un échange entre compétences offertes par le salarié et évolution proposée par l'entreprise, et contribue au contraire à la rigidification des profils sur le marché du travail. Cette stagnation est suicidaire : on le sait, la réussite des entreprises est fortement liée à leur capacité d'adaptation à un contexte de plus en plus changeant. Là est tout l'enjeu des politiques de l'emploi pour demain : construire un modèle permettant une évolution rapide des compétences par des parcours professionnel individualisés, et dans lequel les notions de risque et d'investissement, y compris en matière de recrutement, joueront un rôle majeur.