On ne choisit pas sa famille

Publié le par Fred

« Les Canadiens sont nos amis, les Québecois notre famille »... Mais l'on choisit ses amis et non sa famille, et en prononçant ces quelques mots, Nicolas Sarkozy a donc choisi. Choisi de rompre avec la ligne de « non-ingérence, non-indifférence » qui prévalait en France depuis l'incident diplomatique créé par le général de Gaulle au balcon de l'hôtel de ville de Montréal, pour affirmer son soutien au fédéralisme canadien au prétexte que « le monde n'a pas besoin d'une division supplémentaire ». Cette rupture n'est pas une surprise : déjà en mai dernier, en lançant les festivités françaises du 400e anniversaire de Québec par l'accueil de Michaelle Jean, gouverneure générale (représentante à Ottawa de la reine d'Angleterre) plutôt que par les autorités élues de la province, Nicolas Sarkozy avait tranché en faveur des fédéralistes la querelle historique qui s'et envenimée autour de cet anniversaire, Stephen Harper (premier ministre canadien) déclarant que « Le Canada a été fondé à Québec en Français », tandis que les souverainistes rappelaient que Samuel de Champlain n'avait pas fondé le Canada mais la Nouvelle France.

Il est symboliquement malheureux d'annoncer ce revirement au coeur de cette polémique canado-quebecoise. Ca l'est plus encore de le faire en plein sommet de la francophonie, au moment où la France est précisément accusée par de nombreux pays de ne plus en faire un axe fort de sa politique étrangère. Mais en relançant le débat sur la question nationale, la France commet surtout une grave erreur d'appréciation et un non-sens historique. Alors même qu'ils ont élu l'an dernier une majorité liberale (fédéraliste de centre droit) au parlement provincial, les Québecois ont envoyé à Ottawa - trois jours avant le discours de Nicolas Sarkozy et comme ils le font à chaque élection depuis 15 ans –  une large majorité de députés « bloquistes » (souverainistes). Ce qui vu de France peut paraître une incohérence prend là-bas tout son sens : celui d'une démocratie apaisée capable de dépasser la seule question nationale pour mener un débat politique à la hauteur des nombreuses compétences aux mains du Québec, et le refus de la remise en cause par l'Etat fédéral de ces responsabilités propres au statut particulier dont jouit la Province.

Car le Québec d'aujourd'hui n'est pas celui du général de Gaulle. La question nationale ne s'est jamais limitée au seul enjeu linguistique ou historique. C'était la contestation de l'emprise capitalistique des anglophones et des américains sur l'appareil productif québecois ; c'était la contestation d'une majorité francophone réduite aux emplois les moins qualifiés, fragilisée par des politiques ultra-libérales, enfermée dans un modèle social traditionnaliste et religieux. Le nationalisme québecois a lié à l'identité francophone, un projet d'émancipation sociale-démocrate. Il a allié la reconquête de l'outil de travail (notamment par la nationalisation du secteur électrique approuvée par référendum à 63%), la construction d'un système deprotection sociale, la libération des moeurs et l'émancipation des femmes. Il a fait de Montréal une métropole prospère, un phare artistique fier de son multiculturalisme, où les populations sans se mélanger encore totalement font désormais l'effort de parler la langue de l'autre. Il est passé en une génération d'un nationalisme en creux, se définissant « contre » une culture dominante, à un nationalisme positif, affirmant un modèle de société très libéral selon nos critères européens, qui doit encore faire face à de nombreux problêmes notamment en matière d'accès à la santé ou à l'éducation, mais si progressiste à l'échelle du continent nord-américain.


La reconquête d'un destin canadien-français en Amérique s'est faite avec le concours des compétences francophones du monde entier, et en particulier de l'Hexagone. 7000 de nos étudiants s'y trouvent, et plusieurs centaines de Québecois sont aujourd'hui sur nos campus. La majeure partie des expatriés français s'y sont installés non en 1608, mais au cours des 20 dernières années. Nombreux sont les Québecois qui ont des attaches familiales fortes en France, y retournent régulièrement, bâtissent des réseaux étroits qui profitent à la France en lui offrant une porte d'entrée vers le nouveau continent. La relation franco-québecoise ne peut se contruire uniquement sur le souvenir ou la repentance, comme elle ne peut demeurer ce reflexe paternaliste où la « mère-patrie » dicte à ses « cousins d'Amérique » la meilleure voie pour eux. C'est un partenariat où se mèlent sans cesse curiosité et compréhension, l'étrangeté et la familiarité. C'est le repect mutuel entre deux peuples intimement liés, mais qui ont tracé leurs chemins en toute autonomie. Le rôle de la France n'est pas de se prononcer entre souveraineté québecoise et fédéralisme canadien, mais d'assurer au peuple québecois que quelle que soit la voie qu'il choisira librement de suivre, nous serons à ses côtés.

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F
Entendons-nous sur le fait que c'est un parti centriste et que les notions de gauche et de droite sont sur ce continent, plus relatives qu'en Europe. Oui, le parti libéral est plus interventionniste au Québec qu'ailleurs, et a notamment emporté les dernières élections sur des promesses d'investissement dans les infrastructures routières (il y avait eu pas mal de scandales et quelques morts), et l'accueil des enfants en bas-âge (un vrai parcours du combattant).Maintenant, il n'en reste pas moins que relativement à l'échiquier politique québécois, dont le centre de gravité est beaucoup plus à gauche que dans le reste du pays, les libéraux apparaissent à mon sens au centre-droit. Mais bon, l'étiquette ne me semble pas un enjeu essentiel ni les message central de ce billet.
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R
merci pour ce bel article, trés juste.<br /> Petite précision, le parti libéral est au québec plutot au centre-gauche il me semble.Cette brave pieuvre épouse des contours fort variables selon les provinces et est par exemple en effet plutot à droite dans d'autres états comme le Manitoba.
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