Le drame d'un antisémitisme banalisé

Publié le par Fred

La France n'en finit plus de débattre des échecs de son "vouloir vivre ensemble". Après la crise des banlieues et les caricatures de Mahomet, c'est sous les traits du plus sordide et barbare des faits divers que ressurgit l'ombre de l'antisémitisme. Bien sûr, le mobile est d'abord crapuleux. Mais en revendiquant l'idée reçue selon laquelle "les juifs ont de l'argent", les auteurs de ces faits nous conduisent eux-mêmes à penser qu'Ilan Halimi ne serait pas mort s'il n'avait pas été juif, ce qui est précisément la définition d'un crime raciste. Pourtant, certaines personnalités dont l'ancien président du CRIJF Theo Klein mettent en garde contre l'instrumentalisation de l'antisémitisme en ne voulant voir dans ce mobile qu'un "préjugé" qui ne comporterait en soi d'autre dmension que ceux qui concernent par exemple les auvergnats, les belges ou les blondes... Que penser de ce débat ?

Comme le rappelle fort justement un article de Libération, l'existence des "banquiers juifs" est un fait historique lié d'une part aux lois qui faisaient que les juifs n'avaient pas sous l'ancien régime accès aux autres professions (interdiction de posséder des terres ou de porter des armes...) et d'autre part au fait que les pays chrétiens ou musulmans ne les toléraient qu'à la condition que ceux-ci apportent de l'argent pour financer les activités des "fidèles". L'assimilation des juifs aux métiers d'argent est donc un élément constitutif d'une vision antisémite : celle du "juif errant" qui n'est nulle part légitime. Ce n'est donc pas simplement un préjugé (d'ailleurs faux : les communautés juives d'Europe dans l'entre-deux-guerres vivaient pour l'essentiel dans des conditions d'extrême pauvreté), mais le ressort d'une logique qui fait des juifs les éternels boucs émissaires des malheurs du monde. Car derrière l'idée que "les juifs ont de l'argent" se cache celle selon laquelle "si on a pas d'argent, c'est parce que ce sont les juifs qui l'ont", voire la théorie du complot : "si le monde va mal, c'est parce que les banquiers juifs font en sorte que ce-soit le cas". Ce "préjugé" constitue donc intrinsèquement la justification des actes et discours antisémites "populaires" en période de crise : pogroms paysans sous l'ancien régime, national-socialisme allemand, montée de l'antisémitisme dans les banlieues déshéritées.

Les ressorts de cet antisémitisme populaire "moderne" sont également alimentés par l'exportation en Europe du conflit proche-oriental. Ainsi, le mobile antisémite du meutre d'Ilan Halimi a-t-il été retenu suite à la découverte de documents "pro-palestiniens". Il est toutefois nécessaire d'être extrêmement prudent sur cette question... Il me semble en effet dangereux d'assimiler toute critique de la politique israélienne à de l'antisémitisme : cette critique politique est tout aussi légitime que celles des gouvernements français, américains, iraniens, chionois ou palestiniens et relève de l'expression démocratique. S'agissant d'un conflit avant-tout territorial, il nous faut également admettre que l'antisionisme manifesté par les populations arabes du proche-orient n'est pas nécessairement antisémite : ce n'est pas tant l'existence d'Israël en tant qu'Etat juif qui est remise en cause (à l'exception remarquable d'Ahmadinejad et de quelques autres) que son implantation sur une terre considérée par certains comme "arabe". Ces discours sont dangereux et doivent être combattus, mais ils ne sont pas plus racistes que la "revanche" française en Alsace-Lorraine ou le conflit Nord-Irlandais.

Il nous faut être en revanche vigilant face aux tentatives de transposition de ce conflit à la situation des communautés religieuses en France et en Europe. Si l'on doit admettre et comprendre qu'un citoyen, du fait de ses origines ou de son appartenance à une religion, puisse témoigner d'une sensibilité différente sur l'appréciation de ce conflit, nous ne pouvons tolérer que cela justifie des tensions inter-communautaires sur notre sol. Dès lors que l'on présume des responsabilités d'un individu du fait de sa religion, cela s'appelle du racisme ou de l'antisémitisme, et cela n'a pas sa place dans les valeurs et principes qui fondent notre société.

Il est donc essentiel de séparer ces deux questions, et d'afficher pour chacune les mêmes valeurs démocratiques qui nous animent. Dans le conflit du proche-orient, nous devons faire prévaloir le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes avant toute considération historique ou religieuse. Cela implique la consitution d'un état palestinien indépendant et de plein-droit, la reconnaissance sans réserve par ses voisins de l'existence d'Israël et du droit de ses citoyens à la sécurité, et la condamnation de toute forme de discrimination fondée sur la religion dans chacun de ces 2 Etats, comme dans tous les Etats de la région ou du monde, quelque soit leur religion officielle ou dominante. Au niveau intérieur, il me semble évident que nous devons condamner le meurtre d'Ilan Halimi comme acte antisémite (la torture ne saurait justifier un crime motivé par l'argent, et constitue un facteur agravant de négation de dignité humaine) et combattre la banalisation des préjugés qui ont conduit à ce crime, avec la même force et détermination que tout autre préjugé raciste. En particulier, il est urgent de dénoncer la tentation de cette "concurrence des mémoires", selon l'expression de M.Gallo, qui mine notre identité collective et qui couvre aussi bien les récents propos de Georges Frêche que les déclarations répétées de Dieudonné. Face aux aspiratons légitimes de chaque communauté à voir reconnues les crimes et discriminations dont elles ont été -ou sont encore- l'objet, nous devons promouvoir une "solidarité des mémoires et des combats" qui rende chaque individu, chaque communauté culturelle, ethnique ou religieuse, solidaire des violences subies par les autres au nom d'un principe unique : le respect de la dignité et de la diversité humaine.

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L
les clichés recurrents anti- juifs qui traînent dans les banlieues et qui sont ressortis au sujet de l'affaire Halimi sont typiquement français: "les juifs ont de l argent, ils sont solidaires et puissant car protégés par l'état". Pb typiquement français.Rien à voir avec le Moyen Orient qui est un pb délicat à régler mais qui ne concernent que ceux qui le vivent.Ce sont des clichés bien des chez nous qui ont été intégrés par ceux qui les véhiculent sans cette distance analytique que l'école, la presse , les hommes de pouvoir auraient pu les amener à faire.
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