DADVSI(4) : A propos des DRM

Publié le par Fred

Après le coup de théâtre du 22 décembre ayant conduit au report de l'examen du projet de loi DADVSI, les députés ont donc repris aujourd'hui les délibérations. L'occasion pour moi de revenir sur un point passé au second plan lors du "débat public" (qui tient davantage de la campagne de communication) qui a suivile premier vote : les mesures techniques de protection (MTP) ou Digital Rights Management (DRM). En réalité, les deux questions concernant le mode de financement de la culture et l'autorisation de ces dispositifs anti-copie sont intimement liés et justifient les prises de position diamétralement antagonistes des professionnels de la culture et des supporters du logiciel libre.

Le véritable débat, qui a été en effet totalement éludé lors de la première lecture du texte, oppose moins deux conceptions de l'accès à la culture que deux valeurs essentielles : la création culturelle et les libertés individuelles. Ces deux notions n'étaient pas par nature concurrente (et même plutôt complémentaires, la culture étant un moyen d'expression totalement verrouillée sous les régimes totalitaires) jusqu'à ce que la numérisation de la culture oblige le législateur à les hiérarchiser. Le texte du ministre de la culture pose en effet comme préalable la défense du droit d'auteur, qui reconnait aux créateurs un droit exclusif de propriété sur leur oeuvre et donc celui d'en contrôler l'utilisation. Dans ce cadre, le "peer to peer" est considéré comme un "vol" dès lors que tout à chacun peut diffuser des oeuvres qui ne lui appartiennent pas, et il est donc légitime d'introduire des dispositifs interdisant cette diffusion (les DRM). A contrario, c'est le refus de ces DRM, programmes intrusifs installés à l'insu de l'utilisateur qui peuvent collecter des données, restreindre les usages de l'internaute, voire (dans l'exemple du Rootkit de Sony) mettre en danger la sécurité de l'ordinateur, qui incite les tenants du logiciel libre (pour qui la technologie doit être controlée de son utilisateur et non l'inverse) à mettre le droit d'auteur au second plan.

La question du mode de rémunération de la culture, sur laquelle se sont focalisés les débats découle de l'acceptation ou non de ces DRM. Le refus des dispositifs anticopie implique rend en effet impossible le contrôle des échanges et donc la facturation de ceux-ci. A défaut de payer la culture "à l'acte", il faut donc imaginer d'en payer "un droit d'accès" sous forme d'abonnement (la licence légale). L'inverse n'est en revanche pas vrai : le contrôle de l'usage n'interdit pas de formule d'abonnement "légale" de téléchargement illimité d'oeuvres DRMisés (comme je l'ai déjà écrit, ces offres existent ailleurs et sont en préparation en France).
Le refus de la licence légale repose donc moins sur la défense du droit d'auteur que sur celle des distributeurs soucieux d'empêcher une concurrence vécue comme déloyale.

Elle se fonde par ailleurs sur une conception fausse de l'économie, en prétextant que l'abonnement, c'est "la possibilité d'acheter tout ce qu'on veut dans une boulangerie pour 5 euros par mois". Cette comparaison repose en effet sur une théorie classique de l'échange, où l'acheteur "dépossède" à la fois le vendeur (qui perd de la farine, de l'eau, du sel, et le temps passé à produire une baguette de pain) et les acheteurs concurrents (qui ne peuvent plus acheter cette baguette de pain). Dans ce cadre, la valeur de l'échange est fixée au prix consenti par ces acheteurs concurrents (la demande) et nécessairement supérieur au prix consenti par le vendeur pour être dépossédé (l'offre, ou "prix de revient"). Il en va tout autrement dans le monde numérique où la copie d'une oeuvre ne détruit aucun support physique, ne dépossède pas le créateur (qui peut en vendre un nombre illimité), ni les acheteurs concurrents (qui peuvent acquérir un exemplaire exactement identique). Ce n'est donc plus l'échange de produits qui doit être facturé, mais bien le droit d'accès à ces produits. C'est d'ailleurs cette conception qui fonde la rémunération des artistes lors des diffusions en télévision, radio, ou en boîte de nuit : le diffuseur s'acquitte d'un droit proportionnel à ses revenus, sans préjudice du nombre de diffusions, d'oeuvres diffusées ou de bénéficiares de la diffusion.

Souhaitant associer droit à la copie privée, droit à l'intermodalité et droit d'auteur, la loi DADVSI version 2.0 prévoit de ne pas poursuivre les contournements des DRM liés à ces usages prévus par la loi (et financés par une taxe sur les supports de copie...). Cela crée une zone de non-droit, l'internaute étant libre d'utiliser des logiciels (les cracks de DRM) eux-mêmes interdits... Il me semble plus sage de suivre la recommandation de la CNIL qui estime les DRM "disproportionnés" par rapport aux buts poursuivis. Nous devons donc considérer la "licence légale" comme une extension des modes de rémunérations appliqués aux diffuseurs : une redevance payée par les providers internet qui la répercutent sur leurs abonnés. Cela ne remet pas en cause le fondement du droit d'auteur, l'artiste restant légalement propriétaire de loeuvre et pouvant s'opposer à l'utilisation qui en est faite (détournements, plagiats, remise en cause de l'intégrité de l'oeuvre).

Publié dans Culture - Technologies

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