Du bon usage de la flexibilité
Ma conviction, c'est que c'est le carnet de commandes, et non la forme du contrat, qui crée de l'emploi. Cette approche nécessairement macro-économique n'exclut pas la flexibilité : la réactivité d'une entreprise, sa capacité à anticiper les évolutions de son marché et à adapter ses moyens de production à la stratégie qui en découle sont une source essentielle de compétitivité et de croissance.
C'est également un enjeu social : Le problême du chômage en France est moins lié à son niveau qu'à sa durée. On pourrait accepter un chômage élevé si celui-ci correspondait à une période réduite utilisée par les salariés pour trouver un emploi en réelle adéquation avec leurs compétences et prétentions. Ce n'est pas le cas. Comparativement aux autres pays, l'accès au marché de l'emploi est plus difficile pour certaines populations (jeunes, vieux, non-qualifiés) et plus stable pour les autres. Cette situation tend à installer durablement ces populations dans un cercle vicieux du chômage, qui fait que moins on est actif, et moins on est employable.
C'est enfin une question de justice. Devant la difficulté d'accès au licenciement économique (qui rappelons-le doit être justifié par des difficultés économiques "réelles" ou une mutation technologique), les entreprises contournent le dispositif en faisant peser la responsabilité de ces licenciements sur les salariés. On est donc dans un système absurde où ce qui est interdit en droit existe dans les faits et est compensé par une réparation devant les prud'hommes qui, malgré une composition paritaire, donnent raison aux salariés dans 75% des litiges liés au licenciement.
Pour ces trois raisons, je pense que la flexibilisation du marché du travail doit être un objectif pousuivi par la gauche sociale-démocrate. Mais elle ne doit pas prendre la forme d'un CNE ou d'un CPE, qui repose sur l'abandon du motif de licenciement...
"Nul ne peut être licencié sans motif". C'est la transposition dans le monde économique du "Nul ne peut être détenu sans motif", qui fonde l'état de droit de nos sociétés occidentales depuis l'Habeas Corpus (1215) : c'est le refus de l'arbitraire. Dès lors que l'on prive le salarié de la possibilité de faire valoir ses droits, on le prive concrètement de ces droits. Qu'est ce qui empêche l'employeur de te faire travailler 60 heures par semaine payées 35, de te soumettre au harcèlement moral, de te refuser le droit de grève ou de ta liberté syndicale, s'il peut le licencier arbitrairement, et sans que tu puisses en contester les motifs ? C'est d'ailleurs aussi déresponsabilisant pour le salarié : si la faute ne constitue plus un motif de licenciement, et s'il est assuré de toucher des indeminités, comment garantir sa loyauté notamment sur le secret professionnel ? L'entreprise doit-elle devenir une zone de non-droit au coeur de l'état de droit ? Je ne peux souscrire à un tel sacrifice au nom de la lutte contre le chômage.
A l'opposé de cette conception libérale qui consacre le rapport de force comme seul mode de régulation, nous devons proposer une flexibilité ancrée dans une culture de justice et de responsabilité. Je proposerai ici trois pistes de réflexion :
1. Favoriser la mobilité interne par la formation. L'adaptation de l'entreprise à son marché passe d'abord par l'évolution de ses compétences en interne. Une bonne politique de gestion prévisionnelle de ces compétences doit identifier en amont les salariés les moins adaptés à une mutation de l'activité et leur proposer des parcours de formation adaptés. L'entreprise et le salarié doivent être soutenus dans cette démarche par l'inscription d'un véritable droit individuel à la formation, basé non sur l'expérience acquise mais sur les besoins, en accordant un capital de temps d'autant plus important que la formation initiale a été courte.
2. Assouplir le recours au licenciement économique. Il nous faut accepter de considérer que les conditions du licenciement économique renvoient à une conception du chômage aujourd'hui dépassée. Simplifier le recours à ce licenciement en la conditionnant uniquement à une suppression d'un poste (dont la réalité pourra être contestée) donnera plus de souplesse à l'entreprise, mais aussi plus de sécurité au salarié, qui bénéficiera dans ce cadre d'un congé de reclassement. Plus généralement, une flexibilité accrue ne pourra être socialement acceptée que si elle permet de supprimer les longues périodes d'inactivité. Il faut revaloriser ces périodes en maintenant la qualification des salariés,par exemple en mettant leurs compétences au service de l'économie sociale et associative.