L'euro, la demande et l'offre
L'exploit mérite d'être salué : aux yeux de ses détracteurs, l'euro est tout à la fois responsable de la hausse des prix et coupable d'être soumis au dogme de la lutte contre l'inflation... Une contradiction franco-française reprise aussi bien par un Président dont la position épouse parfaitement celle de son prédécesseur que par son adversaire socialiste attaquant bille en tête l'insincérité des indices de prix.
La hausse des prix est loin d'être une spécificité européenne : les matières premières (pétrole, métaux, minerais, blé, sucre, laine, bois... etc) augmentent fortement depuis 2003, de 30% à 45% en moyennes annuelles (indice HWWA). Ces mouvements s'expliquent essentiellement par le développement des grands pays du Sud, dont la demande sur ces marchés croît nettement plus vite que l'offre. Dans ce contexte, l'appréciation de l'euro par rapport au dollar, monnaie dans laquelle sont libellées l'essentiel de nos importations extra-européennes, tend plutôt à amortir la hausse et à protéger nos porte-monnaies.
En contrepartie, l'euro représenterait un frein à nos exportations et donc à l'emploi. C'est vrai, mais néanmoins à tempérer : nos exportations sont principalement destinées à la zone euro, et c'est avec ces pays que la balance commerciale se creuse (l'Allemagne représentant à elle seule 46,4% du déficit), tandis que nous profitons de la croissance des pays émergents pour accroître nos exportations vers ces nouveaux marchés (+26% vers la Chine en 2006). Globalement, l'export français ne se porte d'ailleurs pas si mal (+9,2%)... Si le déficit commercial atteint des abysses, on le doit bien surtout à la solidité de la consommation des ménages, qui se porte de plus en plus vers des biens importés, et notamment de Chine.
On peut dans ce contexte s'interroger sur l'opportunité d'une stratégie de relance par la demande... Face à un projet socialiste qui persistait classiquement dans cette voie (encore que les mesures concrètes semblaient assez loin de l'affichage), la "décomplexion" de la droite se traduit essentiellement par une redistribution ciblée sur les plus aisés, dans l'idée de faire revenir et consommer en France ces riches spoliés par notre fiscalité confiscatoire... Une idée d'autant plus critiquable (hors de la simple considération de la justice sociale), que le revenu disponible supplémentaire accordé aux plus riches s'orientera vers une épargne désormais mobile sur les marchés mondiaux et vers l'acquisition de patrimoine, ce qui confortera la bulle inflationniste dans l'immobilier.
Notre priorité économique devrait au contraire aller vers une politique de l'offre, c'est à dire un soutien à l'investissement pour moderniser nos structures productives, orienter cette forte demande vers la production intérieure et l'emploi. Et c'est plutôt dans cette optique que la gouvernance de l'euro doit être critiquée : si l'idée de "convergence" n'est pas critiquable en soi (il n'est pas acceptable que le laxisme budgétaire d'un seul soit collectivement payé par tous sous forme d'intérêts), il est absurde de l'appliquer de façon uniforme à des pays dont les besoins varient selon le degré de réalisation de leurs infrastructures. Pire, l'objectif de "déficit 0" en 2010 relève purement et simplement du dogme selon lequel l'investissement public est neutre (qui interdirait à une entreprise privée d'avoir recours au crédit pour se développer ???) et laisse de côté le plus important : l'utilisation de ces budgets.
L'eurogroupe ne peut plus se contenter d'être un club d'experts-comptables pointilleux distribuant les blâmes, mais assumer enfin d'évaluer et de coordonner les politiques budgétaires des Etats membres, pour orienter l'effort financier vers les programmes d'équipement ou de recherche les plus porteurs de croissance. Faire des choix plutôt que d'appliquer des règles, c'est bien le moins que l'on puisse demander à des responsables politiques...