It's the economy, stupid !
Otez-moi d'un doute... A voir certains sourires réjouis, à entendre certaines déclarations autosatisfaites et à lire certaines banderoles, j'en viens à me demander si Nicolas Sarkozy a effectivement été élu le 6 mai, ou s'il ne s'agissait finalement que d'une première manche dont l'on attendrait le match retour dans les 15 jours... Tel est notamment mon sentiment face aux déclarations de Julien Dray évoquant une refondation sur "l'autorité, la nation, la sécurité et le travail", histoire de battre Sarko2012 sur les terres de Sarko2007, tout comme il était primordial selon lui de contrer Sarko2007 sur celles de Chirac2002 avec "l'ordre juste" pour étendard...
Comment comprendre, alors que les Français plaçaient l'emploi et le pouvoir d'achat en tête de leurs priorités, que les enjeux économiques aient à ce point disparu de la campagne électorale ? Pour la gauche, c'est une faute lourde. On se souvient qu'après 12 années de droite et confronté au Président le plus populaire de l'histoire (on sortait alors de la guerre du golfe), Bill Clinton résumait sa seule chance de battre les néo-conservateurs en une maxime : "it's the economy, stupid !". Il avait raison.
La gauche ne peut pas uniquement se concevoir en termes de valeurs. Nous n'avons pas davantage le "monopole du coeur" que celui de la démocratie, de la tolérance ou de la justice... Non, ce qui fait l'essence même de la gauche, c'est un projet de transformation sociale fondé sur une redistribution des richesses. Mais dans le même temps, parce qu'elle prétend modifier la pente naturelle de l'économie, la gauche doit nécessairement faire plus que les autres la preuve de sa crédibilité en la matière. Que l'on prenne "la relance par la consommation" ou "la réduction du temps de travail", c'est toujours par une "utopie concrète" en matière économique qu'elle a conquis le pouvoir en France.
La défaite de Ségolène Royal m'apparaît d'autant plus grave que nous n'avions pas un mauvais projet économique. Notre stratégie de croissance, fondée sur l'investissement dans la société de la connaissance, l'efficacité de la dépense publique, la concertation sociale et le développement durable posait à mon sens les bonnes questions face à la financiarisation auto-destructrice de l'économie de marché. Mais nous étions insuffisemment outillés en termes de réponses concrètes et immédiatement identifiables. Principalement parce qu'en dépit d'une majorité clairement sociale-démocrate pour le referendum interne sur le TCE, lors du congrès du Mans ou de l'investiture de notre candidate, nous avons été incapable de rompre avec le "surmoi marxiste" du socialisme français. Et parce que refusant de sortir du flou artistique au nom de l'unité du parti, sur des questions aussi essentielles que la fiscalité, les retraites, le rôle de l'Etat ou la flexisecurité, nous avons rejeté notre candidate sur le seul terrain des principes et de la compassion.
La refondation du parti ne se pose pas en termes d'élargissement à sa gauche ou vers le centre, mais d'abord par le refus des synthèses bancales. C'est par la confrontation de projets, à l'issue de laquelle une majorité doit assumer une ligne économique et politique claire, que nous convaincrons à l'avenir une majorité de citoyens, et non comme au temps de la IVe république, par des manoeuvres d'appareil.