Modèle social : vrais et faux débats.

Publié le par Fred

Haro sur le "modèle social français". Faute de pouvoir construire une politique économique et sociale créatrice d'emploi, il faudrait donc en détruire une coupable depuis 20 ans de maintenir un chômage de masse entre 8 et 10% de la population active... Coupable, le droit du travail qui freinerait l'embauche en empêchant les licenciements. Coupable, le coût du travail plombé par le financement d'un système social inefficace. Coupable, le traitement social du chômage qui conduirait à un assistanat choisi et non à une précarité subie... Après avoir mis fin en 2002 aux illusions libertaires issues de mai 68, il serait ainsi grand temps de sacrifier les illusions solidaires de la libération sur l'autel du pragmatisme et de l'adaptation au monde moderne.

Halte aux idées reçues : le "tournant politique" réclamé par les néo-libéraux n'en est pas un. Depuis 20 ans en effet, le "modèle social" a d'ores et déjà été détricoté par les politiques de droite comme de gauche, et n'a plus grand chose de commun avec la situation de l'après-guerre. L'interventionnisme de l'Etat dans les secteurs clés de l'économie, marque de fabrique du gaullisme, n'est plus qu'un lointain souvenir : le plan et le contrôle des prix ont été supprimés et les participations de l'Etat dans le secteur marchand (banque, automobile, informatique, acier...) liquidées. La flexibilité du marché du travail a été considérablement accrue, que ce soit par par la suppression de l'autorisation administrative de licenciement ou par la création de nombreux contrats à durée déterminée, aidés ou non, qui représentent aujourd'hui 70% des embauches. Et le code du travail n'a jamais empêché les plans sociaux dans des entreprises bénéficiaires (cf. Michelin), ni les délocalisations. C'est prétendre le contraire et refuser d'admettre l'adaptation du pays aux réalités de la mondialisation qui me semble relever d'une posture idéologique.

Sur l'épineuse question du coût du travail, il faut là encore faire la part du fantasme et de la réalité. Notre systeme social, qui avec 30% du PIB est effectivement le deuxième plus couteux de l'OCDE (après la Suede), pèse sur ce coût de telle sorte que la France est le pays connaissant la plus forte différence entre salaire versé au salarié et coût pour l'employeur. En d'autres termes, il est exact d'affirmer qu'à salaire égal, le travail est plus cher que chez nos concurrents. Mais cette présentation est plus que contestable, car ce qui compte pour un employeur n'est pas le coût total pour un salaire donné, mais le coût total de l'heure travaillée. Et force est de constater que la musique n'est alors plus du tout la même, car le niveau général des salaires est généralement plus bas en France qu'ailleurs. Sur ce critère, la France n'occupe que le 13e dans l'Europe à 25 rang de l'OCDE, avec une moyenne salariale inférieure de 25% aux salaires bruts allemands. Il faut donc considérer que cette réalité est le fruit d'un choix politique qui donne plus de moyens au financement du risque social (chômage, maladie, retraite...) et moins au pouvoir d'achat des salariés. Ce choix de solidarité peut être contesté politiquement, mais il est neutre dans une approche microéconomique du "coût du travail".

La politique de baisse des charges ciblée sur les bas salaires, entamée en 1993 et poursuivie par tous les gouvernements, notamment au travers des contrats aidés, n'a rien de la solution miracle contre le chômage. Depuis maintenant 12 ans, elles ont surtout permis aux entreprises de restaurer des marges entamées durant les années 80, sans contrepartie réelle pour l'emploi. Pire, elle contribue à l'atonie des salaires français en créant des effets d'aubaine qui sont autant de "trappes à bas salaires".  Dans un pays déjà marqué par les plus fortes disparités salariales de la zone euro (entre régions, sexes, classes d'âge...), ces politiques ajoutent donc une disparité croissante entre les classes moyennes qui peuvent espérer évoluer dans leur emploi, et les classes populaires dont le revenu est contraint par l'attractivité fiscale des bas salaires, et dont l'emploi est précarisé par la généralisation des contrats à durée déterminée. Politiquement, cette approche qui oppose l'intégration des catégories ciblées au pouvoir d'achat des travailleurs populaires est l'une des explications de la désertion de ceux-ci vers les votes protestaires.

Mais la réfutation des idées reçues libérales ne doit pas nous éxonerer d'une réflexion sur la responsabilité du système social dans le chômage de masse. Car il est vrai que les fondements mêmes de celui-ci, et en particulier son financement, répondent à des objectifs d'un autre temps. En période de plein emploi, l'adossement de ce système à la masse salariale permet de financer un risque dont l'évolution est proportionnel à celle du marché du travail. Mais dès lors que le chômage n'est plus une variable d'ajustement naturelle du marché du travail, ce mode de fonctionnement devient contre-productif. D'un côté, plus il y a de chomeurs, et moins le système ne dégage de ressources pour les indemniser. De l'autre, plus le financement pèse sur le travail, et moins l'on en crée... Si l'on ajoute à cela les augmentations (souhaitables en soit) liées à l'augmentation de la durée de vie, on comprend que le financement assis sur la masse salariale représente un cercle vicieux.

Il est donc urgent d'introduire un débat sur le caractère redistributif du modèle social. C'est à ce constat que répond l'élargissement de l'assiette introduit par la CSG, dans un triple souci de justice sociale, d'efficacité économique (en réduisant la part assise sur les salaires), et de préservation du caractère public et solidaire (et non privé et individuel) du système social. Dans cette approche, le montant des charges sociales à acquitter par les acteurs économiques doit être lié non à ce qu'ils dépensent, mais à ce qu'ils gagnent. Si le critère de la masse salariale reste pertinente pour les travailleurs, elle ne l'est pas pour les employeurs : cela revient à pénaliser le versement de salaires supplémentaires, alors que c'est au contraire l'objectif à atteindre.
D'autres critères, tels que le chiffre d'affaires, la valeur ajoutée ou la productivité mériteraient d'être étudiés pour que l'entreprise participe au financement de système à hauteur de ce que ses employés rapportent plutot qu'à l'aulne de ce qu'ils coutent. On le voit, ce n'est pas un toilettage ou une déconstruction que nous devons mener, mais une véritable refondation pour sortir du cercle vicieux du chômage et de l'endettement, et ouvrir de nouvelles perspectives politiques alliant évolution du pouvoir d'achat et lutte contre l'exclusion.

Publié dans Economie - Social

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L
 <br /> Vu sur le site http://www.actuchomage.org<br /> Danemark et chômage : le modèle danois n'a aucun mérite<br /> En 2004, le Danemark a plus de préretraités (187 200) que la France (139 700) pour une population active dix fois plus faible. Avec les autres mesures de marché du travail, le nombre réel de chômeurs est 2,52 fois le nombre officiel. Le taux de chômage réel devient 14,65 % au lieu d'un taux officiel de 6,38 %. La tromperie est dévoilée.Avec une évolution de sa population active identique à celle du Danemark depuis quinze ans, non seulement la France n'aurait plus aucun chômeur officiel, mais le chômage réel serait résorbé pour l'essentiel. Et cela sans introduire une plus grande flexibilité des contrats de travail.<br /> Si de plus la France avait eu recours à la même proportion de préretraites que le Danemark (6,78 % de sa population active), le chômage réel aurait entièrement disparu et beaucoup d'emplois à temps partiel seraient redevenus des emplois à temps plein.Inversement, si la population active du Danemark avait augmenté dans la même proportion qu'en France (+12,1%), tout en créant aussi peu d'emplois (43 600 en quinze ans), le nombre de chômeurs aurait augmenté de 372 500 et le taux de chômage réel serait devenu 24,0 % de la nouvelle population active (après son augmentation).<br /> Comme l'on voit, le succès apparent du Danemark ne doit rien à la flexicurité, mélange de flexibilité et de sécurité (discours bien connu). En fait, le modèle danois n'a aucun mérite pour résoudre le problème du chômage, une fois enlevés les artifices qui cachent le chômage réel et encore moins en tenant compte de la démographie de l'emploi.----<br /> Au Danemark en 2004, pour un nombre officiel de 176 400 chômeurs, 268 300 personnes étaient enregistrées dans les "mesures de marché du travail" (labour market policy measures), des préretraites pour l'essentiel.. Le chômage réel était donc de 444 700 personnes.La population active étant de 2 766 300 personnes, le taux de chômage officiel était de 6,38 %. Mais, en réintégrant les 268 300 faux inactifs (préretraités ...) dans la population active, celle-ci devenait 3 034 600 personnes et le taux de chômage réel 14,65 %. Ce taux est un minimum, car ne prenant pas en compte les "invalides" pour raisons sociales.<br /> En France en 2005, pour 2 420 000 chômeurs au sens de l'Anpe (catégorie Defm 1) et 2 717 000 chômeurs au sens de l'Insee, le nombre réel de chômeurs en équivalent temps plein était de 4 092 000, soit un taux de chômage réel de 14,53 % (compte tenu de la correction sur la population active) . Pour rester comparable aux données danoises, l'équivalent en chômage des emplois à temps partiel n'est pas pris en compte ici.Voir l'article Chômage officiel et chômage réel (2005) sur le même site http://travail-chomage.site.voila.fr/chomage/chom_reel2005.htm .----<br /> Le modèle français est le plus honnête en matière de chômage, ou le moins habile pour en cacher l'étendue, comparé au modèle danois, anglais ou hollandais. Le recours aux préretraites massives est utilisé au Danemark, l'invalidité pour raisons sociales (sans réelle invalidité médicale) est la mesure principale en Angleterre (Royaume-Uni) et aux Pays Bas, ce qui n'empêche pas l'utilisation d'autres mesures pour cacher l'importance du chômage. Dans ces trois pays, le chômage réel est de deux à trois fois plus important que le chômage officiel et se trouve comparable au chômage réel en France.<br /> ----Enfin, le Danemark produit et exporte du pétrole et du gaz, ce qui arrange beaucoup les finances publiques et permet de payer un nombre considérable de préretraites pour faire baisser le chômage apparent en diminuant la population active.<br /> ----<br /> Voir http://travail-chomage.site.voila.fr/danois/dk_merite.htm<br /> pour un document trés complet et de grande qualité, avec des tableaux statistiques et les sources utilisées. D'autres aspects y sont aussi abordés : indemnités de chômage, coût du travail, durée effective du travail.<br /> > En effet, cela vaut vraiment la peine d'aller voir le document original car tout est bien expliqué avec des informations sérieuses et issues des sources officielles (citées). Le texte peut être imprimé avec tous les traitements de texte (rtf).<br />  
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L
 <br /> Vu sur le site http://www.actuchomage.org<br /> Le modèle danois : beaucoup d'emplois publics (36,9%)<br /> L'emploi public représente 36,9 % des emplois (63,1 % pour le privé) au Danemark et seulement 19,4 % des emplois en France (80,6 % pour le privé).<br /> Le Danemark est souvent cité en exemple : moins de chômage qu'en France, flexibilité, sécurité ... vous connaissez le discours, qui doit pourtant être fortement nuancé et replacé dans le contexte de la société danoise.<br /> Mais le grand public ignore un aspect essentiel de la question sociale, trompé par les idolâtres du "marché" et de sa "main invisible". L'emploi public est beaucoup plus développé au Danemark qu'en France, près du double en proportion de la population.<br /> L'emploi public danois compte pour 36,9 % dans l'emploi total, tandis que l'emploi public français se limite à 19,36 % de l'emploi total. La proportion d'emploi public est donc supérieure de 91 % au Danemark comparé à la France (36,90 / 19,36).<br /> Au Danemark (2004), pour un emploi total de 2 507 000, l'emploi privé est de 1 582 000 (63,10 %) et l'emploi public de 925 000 (36,90 %).<br /> En France (2004), pour un emploi total de 24 720 000, l'emploi privé est de 19 933 000 (80,64 %) et l'emploi public de 4 787 000 (19,36 %). L'emploi privé comprend 17 265 000 salariés et 2 668 000 patrons ou indépendants. <br /> Si l'on veut de rapprocher des performances du Danemark pour la proportion d'emplois publics dans l'emploi total, augmentons par exemple de trois millions le nombre d'emplois publics. Car les besoins sont immenses : dans la santé et en particulier la prévention, dans la petite enfance, dans l'éducation et la formation des jeunes et des adultes, dans l'aide structurée et publique aux personnes âgées ... <br /> Avec trois millions d'emplois publics en plus (à ne pas confondre avec les fonctionnaires), l'emploi public atteindrait 7 787 000 emplois, soit 28,09 % de l'emploi total (devenu 27 720 000) et nous serions encore loin de la proportion danoise de 36,9  % d'emplois publics.<br /> Par la même occasion, une bonne partie des nouveaux emplois publics pourrait être consacrée à une forte réduction du temps de travail, juste récompense des importants gains de productivité des années passées, pour ramener la durée réelle (pas seulement légale) à 28 ou 30 heures par semaine.<br /> Voir plus de détails, avec tableaux statistiques, à cette adresse : <br /> http://travail-chomage.site.voila.fr/danois/dk_emploi_public.htm<br /> (le texte complet peut être imprimé ... )<br /> .
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