Choix médiatiques

Publié le par Fred

Alors que les "cloches" résonnent à noveau depuis lundi pour appeler les écoliers au turbin, il est temps pour moi de tourner la page de mes balades irlandaises (dont je vous parlerai prochainement) et de reprendre le chemin du clavier pour sortir "Et maintenant ?" de sa torpeur estivale. Pourtant, alors que je pensais aborder cette année électorale décisive avec excitation, c'est sans grand enthousiasme que je me réacclimate à l'inanité du débat politique français, dont le plus grand enjeu estival fut semble-t-il de savoir lequel de nos futurs présidents potentiels avait le plus beau maillot de bain... De l'université d'été du Parti Socialiste, les médias semblent n'avoir retenu que les bruits de bottes d'une guerre des chefs, dont le point d'orgue serait le retour de Lionel Jospin. De celle de l'UMP, les ralliements people de Doc Gyneco à son "petit maître à penser" et d'un Johnny Halliday si convaincu par la rhétorique sarkozyste de la France que l'on aime ou que l'on quitte qu'il veut lui-même devenir Belge... De celle de l'UDF enfin, la dénonciation de ces choix opérés par les médias dans l'intérêt des groupes industriels, et au détriment du fond.

Le coup de gueule de Bayrou mérite que l'on s'y attarde. De toute évidence, la vacuité du débat politique actuel est largement une illusion. Elle se heurte à la réalité vécue par les nombreux militants présents aux différentes université d'été (lire ici le compte-rendu de quelques camarades présents à La Rochelle) et nous invite à décrypter des choix éditoriaux d'autant plus surprenants qu'ils sont partagés par la plupart des organes de presse. Sa dénonciation d'une concentration entre les mains de groupes intervenant sur les marchés publics tout à fait exacte : Bouygues - propriétaire de TF1 - est une des "majors" du BTP en france.  Lagardère, qui détient entre autres Europe1, Paris-Match, le JDD et une bonne partie de la presse magazine, est également actionnaire d'EADS et indirectement, d'Airbus. Dassault, qui contrôle notamment le Figaro et plusieurs titres de presse régionale est l'un des tous premiers fournisseurs de la défense nationale. Cette situation tout à fait inédite dans le monde occidental (à l'exception notable de l'Italie) n'a rien de sain : sans même que ces groupes n'interviennent directement sur la ligne éditoriale des journalistes, il n'est pas rares de voir ces derniers s'auto-censurer lorsque les intérêts du propriétaire sont en jeu (se souvenir à ce propos de la maigre couverture de TF1 dans l'affaire Botton, comparativement aux autres chaînes plus prolixes quant à la mise en cause de PPDA). Mais Bayrou va plus loin, laissant supposer une collusion entre l'intérêt de ces groupes et ceux de deux personnalités politiques : Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Les non-dits d'une telle accusation sont lourds de graves conséquences : y'aurait-il un accord secret entre groupes industriels et politiques, liant les contrats des premiers aux cotes de popularité des seconds ? Ou en d'autres termes, serions-nous victimes d'une vaste entreprise de manipulation ayant pour objectif la corruption de notre futur président(e) ?

Peut-être vais-je être taxé de naïveté, mais je ne pense pas que l'on puisse aller jusque là. Bien sûr, les liens historiques unissant ces groupes au parti gaulliste sont connus, l'un de leurs anciens patrons - Marcel Dassault - ayant même été député. Bien sûr, la proximité personnelle qu'ils entretiennent avec Nicolas Sarkozy ne sont pas un mystère, celui-ci s'étant même vanté d'avoir soufflé le nom d'Harry Roselmack à TF1, d'avoir conseillé Jean-Pierre Elkabbach à Europe 1 ou ne niant guère être à l'origine de l'éviction d'Alain Genestar de Paris-Match après une couverture sur les affres extra-conjugales de son épouse. Bien évidemment, ces faits font peser des inquiétudes légitimes quant à la liberté de la presse, et plus encore s'il venait à être élu. Mais tandis que la candidature de Nicolas Sarkozy est devenue depuis longtemps une évidence politique (et non seulement médiatique), c'est bien la prédominance médiatique de Ségolène Royal qui pose question au sein d'un PS où le choix des militants s'annonce plus disputé que ne le présagent les sondages auprès des sympathisants. Ce décalage entre une légitimité externe clairement établie et une légitimité interne encore fragile est d'autant plus frappante que la seconde s'appuie le plus souvent sur la première ("c'est elle qui peut nous faire gagner"). Alors que le débat politique devrait permettre aux socialistes de trancher leurs clivages idéologiques pour clarifier leur ligne autant que de désigner le meilleur candidat, celui-ci est systématiquement nié au profit de seules questions de personnes. Une attitude caricaturalement illustrée par cet article de Challenges (pourtant relativement "indépendant" desdits groupes) où Robert Schneider accuse pêle-mêle les prétendants socialistes d'écrire des articles, de publier des ouvrages où de tenir des réunions publiques dans le seul but de discréditer la présidente de Poitou-Charentes... Exposer des idées et faire campagne pour les défendre serait-il devenu un acte machiste inacceptable en politique ?

Plus encore que l'intérêt industriel, je crois donc en l'existence d'intérêts propres à la sphère médiatique. Les Etats-Unis, où les journalistes ont une haute opinion (souvent justifiée) de leur liberté et où la concentration du secteur s'organise autour de "magnats" et de groupes uniquement dédiés aux médias et à l'entertainment (Murdoch, Viacom, Time Warner, Disney...), sont pourtant les "inventeurs" d'une politique spectacle où la confrontation personnelle des candidats l'emporte sur leurs programmes respectifs. Leur objectif est alors de réunir la meilleure affiche, celle qui tiendra le "spectateur" en haleine et boostera l'intérêt du public, immédiatement mesurable en taux d'audience ou en vente de papier. Renouvelant profondément l'offre télévisuelle depuis quelques années, la télé-réalité et le docu-fiction y ont également aboli les frontières entre fiction et information, influençant chacun de ces "genres". Il ne s'agit plus de narrer l'histoire à partir d'une réalité brute, mais de sélectionner et de hiérarchiser les éléments de cette réalité qui font la meilleure histoire, quitte parfois à en écrire le scénario à l'avance. Que DSK fasse salle comble à l'Oratoire ou que Martine Aubry soit ovationnée par les jeunes du MJS, et ils deviennent les héros d'un front "tout sauf Ségolène" qui se constituerait autour de Lionel Jospin. Lui-même apparaît comme l'acteur complaisant d'une énième tragédie grecque sur "la guerre des anciens contre les modernes" à l'issue inéluctable. Claire Chazal ne dit pas autre chose lorsqu'elle rétorque à Bayrou que sarkozy et Royal n'ont jamais été candidats, contrairement à lui... Les enjeux de l'intrigue médiatique sont posés, mais sont-ils réellement ceux de l'élection ?

Publié dans Politique

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F
Je partage malheureusement ton peu d'enthousiasme sur le traitement médiatique qui cherche à raconter une histoire plus qu'à informer...Je t'invite d'ailleurs à jeter un oeil au podcast de John-Paul Lepers sur mon blog, qui va un peu dans ce sens...
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