Liban : le gâchis.
Bien sûr, la guerre n'est jamais quelque chose de souhaitable ; mais c'est encore bien pire lorsque l'on ne parvient pas à la comprendre. Ainsi en est-il des frappes menées par Israël sur le Liban, en représailles de l'enlèvement de deux de ses soldats et des tirs de roquette du Hezbollah sur la ville de Haïfa. Bien sûr, c'est la phrase convenue, Israël a "le droit de se défendre"... Mais il a avant tout la responsabilité et le devoir d'assurer sa sécurité à long-terme dans le région, et c'est pourquoi cette action me semble très largement contre-productive.
Souvenons-nous : il y a un peu plus d'un an, l'assassinat du premier ministre libanais Rafik Hariri - très probablement commandité ou executé par la Syrie voisine - soulevait un émoi populaire considérable. Dépassant les tensions confessionnelles et ethniques qui le divisent depuis la guerre civile, le peuple libanais défilait comme un seul homme derrière la bannière au cèdre pour dénoncer l'instrumentalisation dont il faisait l'objet de la part des puissances régionales, et obtenait le retrait des troupes syriennes. Les observateurs et médias internationaux voyaient là la promesse de jours meilleurs et l'amorce d'un processus démocratique devant construire un état laïc, fort et enfin indépendant. Pourtant - sans doute trop occupée en Irak ou en Iran - la communauté internationale n'a pas cru bon de pousser trop loin son avantage pour obtenir de la Syrie le désarmement des milices au sud du pays (pourtant votée par la résolution 1559 des nations unies), ni soutenir la constitution d'une force armée libanaise capable d'en contrôler l'éxécution et de se substituer à la maigre présence onusienne pour garantir l'intégrité des frontières.
Et c'est aujourd'hui tout le problème : estimant que le Liban n'est pas en capacité de désarmer le Hezbollah, Israël engage des frappes pour priver l'organisation chiite de sa capacité de nuisance. Ehud Olmert répond en cela à une forte demande de son opinion publique, et y trouve l'opportunité de s'affirmer comme chef de guerre, dimension encore indissociable de la légitimité politique dans un pays qui vit sous une menace permanente depuis sa création. Si la réaction est compréhensible, son envergure n'est pas simplement démesurée : elle vire à l'absurde. Car en frappant les infrastructures et en touchant les populations civiles, il fragilise l'équilibre précaire conquis l'an dernier par le peuple libanais. De ce fait, il court le risque de diviser le pays et de favoriser le retour de la Syrie dans le jeu libanais ; ou de placer l'Iran dans une position de recours diplomatique au moment même où celui-ci négocie les conditions de son programme nucléaire...
Dans ce contexte, le conflit actuel favorise donc les visées politiques du Hezbollah, alors que nul plus qu'Israël n'aurait intérêt à un état libanais fort et stable. Nul ne lui reprocherait de mener des expéditions punitives "commando" pour décapiter l'organisation terroriste qui le harcèle ; chacun comprendrait que ses services secrets coopèrent avec le gouvernement libanais pour lutter contre cette organisation qui constitue un véritable état dans l'état menacant la stabilité du pays ; tous approuveraient qu'Israël réclame la constitution d'une force d'interposition internationale digne de ce nom pour assurer la sécurité de ses frontières et assister le déploiement d'une armée libanaise sur celles-ci. Mais son intervention risque de rendre ces options déjà caduques et je crains, pour reprendre les paroles d'un habitant de haïfa entendu ce week-end à la radio, que cette guerre ne finisse par cesser que "faute de combattants".