Iran : sortir de la crise
Claude Bodin pose, sur le blog de l'IES, la question du nucléaire Iranien et plus largement, celle de savoir comment l'on peut définir les états qui auraient droit, ou non, à l'utilisation d'armes nucléaires... Je livre ici ma réponse au débat...
Que la détention d'armes nucléaires par un état tel que l'Iran soit un danger est une évidence, et tout doit être diplomatiquement mis en oeuvre pour l'en dissuader.
Il faut toutefois se défier d'une vision manichéenne du monde selon laquelle il y aurait d'un côté des états responsables, démocratiques et bienveillants (qui détiendraient légitimement la bombe) et de l'autre des états voyous, totalitaires et terroristes (qui n'en aurait pas le droit). En matière internationale, il n'y a que des Etats, également légitimes dès lors qu'ils sont reconnus internationalement, et qui défendent des intérêts particuliers et nécessairement divergeants. Les notions de "bien" et de "mal" sont donc extrêmement relatives et liées à l'intérêt des Etats qui les emploie (et caricaturalement, les USA de Bush Jr.), représentant ainsi la victoire tardive mais réelle de la position de H. Kissinger, violent adversaire du "nouvel ordre mondial" voulu par Bush Sr., qui transformait les USA en "gendarmes du monde"dont la politique extérieure devait être fondée sur le droit international.
La position des USA dans l'affaire Iranienne est extrêmement dangereuse : comment faire entendre raison à un Etat que l'on qualifie de terroriste et à qui l'on promet le feu et les larmes ? Peut-on imaginer que celui-ci renonce à se défendre lorsque sa légitimité même est remise en cause ? De toute évidence (mais n'est finalement pas l'objectif américain...), cela ne peut se dénouer que par la guerre. C'est pourquoi, à supposer que l'on ne recherche pas le renversement des mollahs, il nous faut fonder notre doctrine nucléaire sur le droit international : nous avons un outil pour cela, le TNP.
Que dit-il ce traité vieux de 35 ans ? 3 principes simples :
1. Les Etats signataires, à l'exception des 5 membres permanents du conseil de sécurité, renoncent à tout développement d'un programme nucléaire militaire.
2. En contrepartie, ces 5 pays (USA, Russie, France, GB, Chine) s'engagent à assister les états signataires, par des transferts de technologies et de compétences, dans le développement du nucléaire civil, et s'interdisent d'assister des Etats non signataires.
3. Les 5 grands s'engagent à réduire leur propre capacité nucléaire pour parvenir (sans objectif daté...) à son démantèlement total.
On ne pourra faire appliquer ce traité par l'Iran (signataire), que si on le respecte nous-même...
Concernant le dernier point : le maintien des forces de dissuasion a plutôt été une bonne chose qui a permis de contenir les affrontements est-ouest à des conflits régionaux sans entraîner de guerre mondiale. Mais l'on doit aujourd'hui repenser l'adaptation du nucléaire au monde nouveau, tout en conservant ce principe de dissuasion. Le développement d'armes tactiques à tête nucléaire, comme le préconise Chirac, serait dans ce cadre un grave danger pour le monde et une violation manifeste de nos engagements internationaux.
Il nous faut également appliquer le second, et donc renoncer à offrir au nom du marché, des technologies nucléaires à des Etats non signataires et possédant la bombe (comme l'Inde), qui ne sont pas contrôlés par l'AIEA. Ce système "2 poids, 2 mesures", qui favorise au demeurant ceux qui ne jouent pas le jeu de la non-prolifération, est diplomatiquement très compliqué à faire valoir auprès de ceux qui seraient tentés de sortir des clous du TNP. S'il n'y a rien à gagner dans ce traité, pourquoi le respecter ?
L'important (et je crois que c'est bien la position de l'UE), c'est donc de négocier avec l'Iran les conditions dans lesquelles on peut l'assister dans le développement du nucléaire civil, qui soit une industrie réellement indépendante comme il le revendique, tout en s'assurant que cela ne pourra pas servir à des fins militaires. Cela n'est pas simple, c'est possible. Il faut pour cela baliser 2 éléments.
1. L'enrichissement des combustibles nucléaires. Contrairement à une idée reçue médiatique, les combustibles nécessaires au nucléaire civil et militaire sont très différents : un uranium enrichi à 5% suffit à aimenter une usine, alors qu'il doit l'être au moins à 80% pour le nucléaire militaire (c'est toute la différence entre une réaction en chaîne maîtrisée et une potentiellement explosive). La mise en place d'usines d'enrichissement n'est d'ailleurs pas interdite par le TNP, dès lors qu'elles sont publiquement déclarées à l'AIEA. On peut donc autoriser l'Iran a mener ces travaux à une condition : qu'il accepte que l'AIEA puisse effectuer des saisies et contrôles d'échantillon, ce qu'il refuse aujourd'hui (ces pouvoirs lui sont donnés par le protocole additionnel de 1990 que l'Iran n'a pas signé...)
2. La question des déchets. Le résidu du nucléaire civil pose de nombreux problèmes : il produit d'une part du plutonium pouvant alimenter l'industrie militaire, et d'autre part des déchets hautement radioactifs pouvant être utilisés pour des "bombes sales" que chercheraient à utiliser les mouvements terroristes. Il faut donc obtenir que l'Iran sous-traite la gestion de ces déchets à un etat tiers reconnu par les deux parties pour garantir la sécurité de ces matériaux.
Le problème, c'est que l'on ne peut faire de pari à très long terme (plusieurs millénaires) sur la stabilité politique d'aucun état... ce qui doit nous pousser à réflechir par ailleurs sur l'avenir de cette énergie, qui ne me semble pas le bon choix dans l'absolu.
Que la détention d'armes nucléaires par un état tel que l'Iran soit un danger est une évidence, et tout doit être diplomatiquement mis en oeuvre pour l'en dissuader.
Il faut toutefois se défier d'une vision manichéenne du monde selon laquelle il y aurait d'un côté des états responsables, démocratiques et bienveillants (qui détiendraient légitimement la bombe) et de l'autre des états voyous, totalitaires et terroristes (qui n'en aurait pas le droit). En matière internationale, il n'y a que des Etats, également légitimes dès lors qu'ils sont reconnus internationalement, et qui défendent des intérêts particuliers et nécessairement divergeants. Les notions de "bien" et de "mal" sont donc extrêmement relatives et liées à l'intérêt des Etats qui les emploie (et caricaturalement, les USA de Bush Jr.), représentant ainsi la victoire tardive mais réelle de la position de H. Kissinger, violent adversaire du "nouvel ordre mondial" voulu par Bush Sr., qui transformait les USA en "gendarmes du monde"dont la politique extérieure devait être fondée sur le droit international.
La position des USA dans l'affaire Iranienne est extrêmement dangereuse : comment faire entendre raison à un Etat que l'on qualifie de terroriste et à qui l'on promet le feu et les larmes ? Peut-on imaginer que celui-ci renonce à se défendre lorsque sa légitimité même est remise en cause ? De toute évidence (mais n'est finalement pas l'objectif américain...), cela ne peut se dénouer que par la guerre. C'est pourquoi, à supposer que l'on ne recherche pas le renversement des mollahs, il nous faut fonder notre doctrine nucléaire sur le droit international : nous avons un outil pour cela, le TNP.
Que dit-il ce traité vieux de 35 ans ? 3 principes simples :
1. Les Etats signataires, à l'exception des 5 membres permanents du conseil de sécurité, renoncent à tout développement d'un programme nucléaire militaire.
2. En contrepartie, ces 5 pays (USA, Russie, France, GB, Chine) s'engagent à assister les états signataires, par des transferts de technologies et de compétences, dans le développement du nucléaire civil, et s'interdisent d'assister des Etats non signataires.
3. Les 5 grands s'engagent à réduire leur propre capacité nucléaire pour parvenir (sans objectif daté...) à son démantèlement total.
On ne pourra faire appliquer ce traité par l'Iran (signataire), que si on le respecte nous-même...
Concernant le dernier point : le maintien des forces de dissuasion a plutôt été une bonne chose qui a permis de contenir les affrontements est-ouest à des conflits régionaux sans entraîner de guerre mondiale. Mais l'on doit aujourd'hui repenser l'adaptation du nucléaire au monde nouveau, tout en conservant ce principe de dissuasion. Le développement d'armes tactiques à tête nucléaire, comme le préconise Chirac, serait dans ce cadre un grave danger pour le monde et une violation manifeste de nos engagements internationaux.
Il nous faut également appliquer le second, et donc renoncer à offrir au nom du marché, des technologies nucléaires à des Etats non signataires et possédant la bombe (comme l'Inde), qui ne sont pas contrôlés par l'AIEA. Ce système "2 poids, 2 mesures", qui favorise au demeurant ceux qui ne jouent pas le jeu de la non-prolifération, est diplomatiquement très compliqué à faire valoir auprès de ceux qui seraient tentés de sortir des clous du TNP. S'il n'y a rien à gagner dans ce traité, pourquoi le respecter ?
L'important (et je crois que c'est bien la position de l'UE), c'est donc de négocier avec l'Iran les conditions dans lesquelles on peut l'assister dans le développement du nucléaire civil, qui soit une industrie réellement indépendante comme il le revendique, tout en s'assurant que cela ne pourra pas servir à des fins militaires. Cela n'est pas simple, c'est possible. Il faut pour cela baliser 2 éléments.
1. L'enrichissement des combustibles nucléaires. Contrairement à une idée reçue médiatique, les combustibles nécessaires au nucléaire civil et militaire sont très différents : un uranium enrichi à 5% suffit à aimenter une usine, alors qu'il doit l'être au moins à 80% pour le nucléaire militaire (c'est toute la différence entre une réaction en chaîne maîtrisée et une potentiellement explosive). La mise en place d'usines d'enrichissement n'est d'ailleurs pas interdite par le TNP, dès lors qu'elles sont publiquement déclarées à l'AIEA. On peut donc autoriser l'Iran a mener ces travaux à une condition : qu'il accepte que l'AIEA puisse effectuer des saisies et contrôles d'échantillon, ce qu'il refuse aujourd'hui (ces pouvoirs lui sont donnés par le protocole additionnel de 1990 que l'Iran n'a pas signé...)
2. La question des déchets. Le résidu du nucléaire civil pose de nombreux problèmes : il produit d'une part du plutonium pouvant alimenter l'industrie militaire, et d'autre part des déchets hautement radioactifs pouvant être utilisés pour des "bombes sales" que chercheraient à utiliser les mouvements terroristes. Il faut donc obtenir que l'Iran sous-traite la gestion de ces déchets à un etat tiers reconnu par les deux parties pour garantir la sécurité de ces matériaux.
Le problème, c'est que l'on ne peut faire de pari à très long terme (plusieurs millénaires) sur la stabilité politique d'aucun état... ce qui doit nous pousser à réflechir par ailleurs sur l'avenir de cette énergie, qui ne me semble pas le bon choix dans l'absolu.