Hypothèses pour un jeudi décisif
Jeudi 30 mars sera une journée décisive pour le CPE et un premier ministre qui y a lié son destin. C'est en effet demain que le conseil constitutionnel rendra son jugement sur la constitutionnalité de la loi sur l'égalité des chances et, quels qu'en soient les attendus, que la patate chaude du CPE reviendra constitutionnellement entre les mains du Président de la République. Celui-ci a d'ailleurs annulé un déplacement prévu au Havre, sans doute en partie pour éviter de se trouver confonté aux manifestants, mais aussi pour reprendre l'initiative face au succès de la mobilisation syndicale et étudiante. Depuis le début de la crise, on dit Jacques Chirac obsédé par les exemples de 1986, 1993 et 1995, qui montrent qu'à chaque fois que la droite a reculé face à la pression de la rue, elle a conforté son électorat dans l'idée que la pays n'est "pas réformable" et a connu de lourdes défaites électorales. Si le soutien des sympathisans de droite est moindre que dans les cas précédents (notamment du fait de la rupture avec l'UDF), il reste significatif (74%) auprès d'une base électorale UMP de plus en plus réduite, ce qui accentue le risque de répétition de l'histoire. Tenir coûte que coûte, voila bien la position du Président depuis 2002, quitte à griller au passage de nombreux fusibles, comme Ferry, Fillon, Raffarin... et maintenant Villepin.
Dans ce contexte, une censure du CPE par le Conseil Constitutionnel apparaît de plus en plus comme une sortie de crise "honorable". Humiliante à court-terme pour un premier ministre déjà considéré comme perdu pour 2007, elle permettrait un apaisement rapide du mouvement sociale et l'ouverture, à l'initiative de Jacques Chirac, du dialogue avec les partenaires sociaux sur la question de l'emploi des jeunes, façon de préserver l'essentiel à un an d'échéances électorales majeures. Considérée comme hautement improbable par la plupart des juristes (voir l'article de l'express), notamment du fait que le conseil est incompétent pour juger de la non-conformité du texte avec les traités internationaux (charte sociale européenne et convention de l'OIT précisant que tout licenciement doit être motivé par l'employeur), cette hypothèse semble néanmoins renforcée par la décision rendue le 16 mars sur la loi sur l'égalité salariale entre les hommes et les femmes. Car si le Conseil n'a jusqu'à présent pas censuré les nombreux dispositifs créant des contrats spécifiques pour une catégorie de population (TUC, CES, CIE, Emplois-jeunes...), il vient d'établir que la loi ne saurait "faire prévaloir la considération du sexe sur celle des capacités et de l'utilité commune". De là à imaginer que des considérations d'âge peuvent également constituer une rupture d'égalité devant la loi, il y a un pas dont nul ne peut affirmer qu'il sera franchi. Probabilité : 35%
Reste qu'il demeure plus probable que le Conseil valide la loi, ce qui poserait nécessairement la question de l'attitude du président. Au titre de l'article 10 de la constitution, celui-ci peut renvoyer le texte devant le parlement pour lui demander une "nouvelle délibération", comme le lui demandent les syndicats et l'opposition. Jacques Chirac n'aime rien de plus que de se draper de ses oripeaux constitutionnels : il pourrait alors apparaître comme l'arbitre au-dessus du débat, soutenant la politique du gouvernement tout en considérant qu'il doit remettre l'ouvrage sur le métier pour lever les appréhensions et malentendus. Mais en réalité, cela reviendrait à un retrait pur et simple du CPE et il serait difficile de ne pas le faire apparaître comme un désavoeu de Villepin. Or, celui-ci n'a d'autre légitimité que celle du président (pas de mandat électoral, pas de soutien du parti, pas de dialogue avec les partenaires sociaux...) et le risque serait alors grand de le pousser à une démission qui ne laisserait à Chirac que la carte Sarkozy... Par ailleurs, il devrait alors choisir entre enterrer la loi sur l'égalité des chances, remises aux calendes grecques, alors que c'est la seule réponse du gouvernement aux émeutes de novembre (service civil, apprentissage junior, mise sous tutelle des allocations, légalisaion du testing et du cv anonyme), et la refaire voter sans CPE, ce qui conduirait sa majorité à devoir se contredire... Probabilité : 20%
Il peut également, comme le suggèrent Sarkozy et le groupe parlementaire UMP, mettre à profit le délai de 15 jours dont il dispose pour renouer le dialogue social avant toute promulgation. Ce serait une façon de ne retirer le CPE que contre une alternative négociée avec les partenaires sociaux... Avec le risque d'un échec qui ne ferait que repousser l'échéance et la certitude de voir un durcissement du conflit pour établir le rapport de force durant ces 15 jours... Probabilité : 15 % Il peut enfin, et c'est le souhait de Villepin, promulguer immédiatement la loi. Les manifestations pourraient alors être considérées comme illégales et il reviendrait à Sarkozy de les faire interdire... On entrerait alors dans une épreuve de force qui détruirait toute vélléité de dialogue social lors de l'année qui vient (mais est-il encore possible avec Villepin de toute façon ?), mais pourrait renforcer l'électorat de droite. C'est un pari qui miserait sur l'essoufflement du mouvement à moyen-terme (au pire en juin avec les examens et les vacances) et les réflexes légitimistes des français qui pourraient retirer leur soutien aux syndicats. Mais aussi, selon certains députés, un suicide collectif dont le refus conduirait à la démission de Sarkozy et à l'explosion de la majorité... Mais Chirac n'est-il pas l'artisan inlassable de "la machine à perdre" ? Probabilité : 30%