Flux migratoires et enjeux du codéveloppement
Pauvreté, guerres, atteintes aux droits de l'homme... Chaque année, 20 000 africains quittent le continent pour tenter leur chance dans les pays "riches" d'Europe et d'Amérique du nord. Cette situation pose un double problème :
- Dans une mondialisation qui facilite la mobilité des plus qualifiés tout en rigidifiant la liberté de circulation des plus pauvres, l'émigration constitue du point de vue du pays d'origine une véritable fuite des cerveaux et des énergies. On estime ainsi que le tiers des africains diplômés ont quitté leur pays. Cela peut atteindre des proportions dramatiques comme au Ghana qui aurait par exemple perdu 60% de ses médecins. C'est une situation qui non seulement hypothèque l'avenir, mais pèse sur le présent : pour compenser ces travailleurs qualifiés manquant, l'Afrique a recours à 100 000 expatriés du Nord, qui lui coûtent 4 milliards de dollars.
- Les pays d'accueil, pour leur part, ne sont plus en mesure d'accueillir ce flux de travailleur dans les conditions élémentaire de dignité humaine permettant leur intégration. Le taux de chômage des étragers en France est par exemple de 20% (soit le double de celui des "nationaux"). Il en résulte une absence de mixité sociale qui trouve son paroxysme dans la ghettoïsation des banlieues qui concentrent au même endroit chômage, logement insalubre, absence de services de proximité, trafics et délinquance. Cette situation alimente les peurs irrationnelles vis à vis de "l'étranger" et les amalgames simplistes entre immigration, chomage et insécurité.
Face à ces enjeux : développement sur une rive de la méditerrannée, intégration sur l'autre rive, les politiques européennes de l'immigration font triplement fausse route, en poursuivant autant de mythes :
- Le mythe de la "forteresse européenne". Le durcissement des conditions d'entrée, de séjour et de regroupement familial - que caricaturent les dispositions du gouvernement français sur la carte de résident attribuée aux étrangers entrés mineurs en France, mariés à un français ou dont l'état de santé nécessite une prise en charge - ne sont pas le "signal" qui démotiverait les candidats à l'immigration. L'expulsion des étrangers en situation irrégulière n'empêchent pas les africains de se jeter sur les grilles de Ceuta et Melilla. Ce n'est pas en augmentant le risque encouru par les candidats au départ (il est déjà très élevé) que l'on maîtrisera les flux migratoires, mais en créant les conditions d'un avenir pour l'Afrique. A l'inverse, elles freinent l'intégration des étrangers présents sur notre sol (et des français issus de l'immigration africaine) en confortant les préjugés et amalgames d'une opinion publique elle-même frappée de plein fouet par les effets de la mondialisation et tentée par le repli identitaire.
L'idée que l'immigration serait mauvaise en soi est par ailleurs une aberration économique. Il y a certes 3 millions de chomeurs, mais également 500 000 postes non pourvus. Au total, l'UE estime à 2 millions le nombre de personnels qualifiés manquant notamment dans les secteurs de la santé et des nouvelles technologies. Je suis personnellement favorable à un modèle de quotas professionnels sur le modèle canadien, accompagné de mesures destinées à faciliter l'intégration (parrainnage, cours gratuits de langue et de citoyenneté, application de la loi SRU).
- Le mythe de la "sous-traitance" de la maîtrise du flux. La politique de codéveloppement telle qu'elle est menée en Europe lie développement et immigration en inversant la conditionalité de l'une par rapport à l'autre. Ainsi, des accords bilatéraux (avec le Maroc notamment, ou hors d'Afrique la Roumanie) conditionnent le niveau de l'Aide publique à la "bonne conduite" des états en matière de lutte contre l'émigration. Le développement n'est pas un "cadeau", il ne se "mérite" pas. Il est un droit, fruit de l'exigence morale de dignité humaine, et le socle d'un progrès économique et social qui a terme, doit bénéficier à tous.
- Le mythe du retour des cerveaux. On ne peux réduire l'émigration à une hémorragie. Car dans le même temps, les migrants contribuent massivement, au travers de flux financiers privés, au développement de leurs pays d'origine. Le FMI estime à deux milliards de dollars les transferts privés de migrants à destination du Maroc, soit une ressource équivalente au tourisme. Pour d'autres pays, comme le Mali ou les Comores, c'est encore -rapporté à leur PIB- bien plus... Plutôt que d'agiter le mythe du retour (les politiques d'aides en ce sens ont toutes échoué), il faut mobiliser les énergies de ceux qui sont en Europe pour créer les conditions d'un avenir pour l'Afrique. Trop souvent, ces transferts privés se substituent aux missions d'intérêt public qui devraient relever de l'APD (routes, écoles...). A l'inverse, les économies africaines sont caractérisées par un double contrôle étatique et étranger. Créer les conditions d'un avenir en Afrique, c'est donc réorienter l'argent des migrants vers l'investissement productif, pour rendre l'économie africaine aux Africains et créer de l'activité.